Intellectuel érudit passionné de littérature, diplomate et militant du nationalisme africain, Henri lopes est mort le 2 novembre 2023 à Suresnes. Son ami Carlos Lopes lui rend hommage.
Je viens de perdre un mentor, qui a été une source d’inspiration depuis notre première rencontre alors que j’avais seulement 20 ans. J’ai été introduit au monde des idées panafricaines par Mário de Andrade, le premier président du Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA), avec lequel j’ai commencé mon parcours professionnel. C’est ainsi que j’ai naturellement découvert les œuvres de son ami proche, Henri Lopes, qu’il admirait profondément.
Rôles essentiels
Henri Lopes a occupé des postes de haut niveau dans ce qui était alors connu sous le nom de la République populaire du Congo. Il a été ministre de l’Éducation nationale de janvier 1969 à décembre 1971 sous la présidence de Marien Ngouabi, avant d’assumer, en 1972, la fonction de ministre des Affaires étrangères. Devenu membre du bureau politique du Parti congolais du travail, il exerce, de 1973 à 1975, la fonction de Premier ministre. Plus tard dans sa carrière, il a joué des rôles essentiels en tant que haut fonctionnaire à l’Unesco, où il a occupé le poste de directeur Afrique, puis de numéro deux de l’organisation. Il a terminé sa carrière en tant qu’ambassadeur du Congo en France.
Mário de Andrade et Henri Lopes étaient tous deux des érudits, passionnés par la littérature et profondément engagés envers la cause du nationalisme africain. J’ai eu le privilège de travailler étroitement avec Mário, qui m’a aidé à m’obtenir une bourse pour étudier à Genève. À partir de là, j’ai participé à diverses réunions, notamment une à l’Unesco où Mário m’a recommandé à Henri. Nous étions en 1980, et c’est ainsi qu’a débuté la relation significative et durable que j’ai entretenue avec Henri. Chaque fois que j’ai dû prendre des décisions difficiles dans ma carrière, je me suis tourné vers lui pour obtenir des conseils et de la sagesse. Son rôle est devenu encore plus crucial pour moi après le décès de Mário de Andrade en 1990.
J’ai eu le privilège de collaborer avec Henri, membre du conseil d’administration, puis président de l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche, durant mon mandat en tant que directeur exécutif. De plus, j’ai eu l’occasion de rejoindre le conseil de rédaction de la revue « Géopolitiques Africaines », une publication que Henri lui-même avait fondée.
J’ai régulièrement rendu visite à Henri à Paris, et ces rencontres ont continué jusqu’à l’année dernière. Malheureusement, sa santé a commencé à se détériorer, ce qui lui a rendu de plus en plus difficile de parler. Sa voix s’affaiblissait progressivement, et il a passé de longues périodes à l’hôpital ou en convalescence. Néanmoins, j’ai continué à échanger avec lui à distance.
De manière remarquable, même face à ces défis de santé, il a réussi à produire un livre mémorable intitulé Il est déjà demain (JC Lattes, 2018), qui a élégamment conclu sa remarquable carrière d’écrivain.
Le dernier opus d’Henri transmet une urgence profonde. Bien que ce récit plonge profondément dans le passé pour exhumer ses racines, Henri se préoccupe surtout de l’avenir de l’Afrique intérieure. Son dessein premier est d’éclairer la voie que l’Afrique doit suivre en scrutant l’Histoire dans le rétroviseur. Malgré une taille plus réduite que celle du pare-brise, le rétroviseur reste d’une importance vitale, tout comme la mémoire est essentielle pour comprendre notre présent et façonner notre futur. C’est le récit d’une quête d’identité politique et philosophique, perpétuellement marquée par l’empreinte des moules coloniaux.
Intelligence, éloquence et engagement
Henri, à travers son écriture, fait ressentir combien le processus de décolonisation est complexe, ceux-là mêmes qui ont combattu le régime colonial ayant été façonnés par ce même régime. La langue française, en tant que symbole du pouvoir d’une époque où le peuple cherchait sa place, joue un rôle clé dans la quête d’identité culturelle, de puissance et de liberté du peuple. Pour Henri, le français, ainsi que le portugais, l’anglais ou l’arabe sont aussi devenus des langues africaines.
La personnalité d’Henri est une fascinante combinaison d’intelligence, d’éloquence et d’un engagement inébranlable envers l’Afrique. Son intelligence aiguë se manifeste dans ses écrits stimulants, où il explore des thèmes complexes avec une remarquable clarté. L’éloquence d’Henri est une marque de fabrique de son caractère, car il communique sans effort des idées complexes, rendant ses œuvres à la fois éclairantes et accessibles. Ce qui le distingue par-dessus tout, c’est sa profonde dévotion et sa passion pour le continent africain, force motrice de toutes ses activités politiques. Sa présence charismatique et sa capacité à combler les écarts culturels mettent en lumière davantage sa personnalité multiforme, faisant de lui une figure d’influence durable et d’impact en Afrique et au-delà.