Pour Carlos Lopes, l’imposition fiscale est un contrat social entre les citoyens et le gouvernement. Cela nécessite que les citoyens ordinaires bénéficient des dépenses publiques
Souvent, le débat sur la corruption en Afrique tend à se concentrer sur les coupables habituels, qu’il s’agisse des entreprises étrangères – telles que les sociétés minières – ou des dirigeants de pays et des élites qui les soutiennent. De toute évidence, ces préoccupations sont légitimes. Le comportement kleptocratique des dictateurs et dirigeants populistes a été la marque de fabrique de nombreux pays du continent. En revanche, le récent débat sur les flux financiers illicites, mérite davantage d’analyse.
L’indice de perception de la corruption (CPI), auquel on recourt si souvent, ne traduit en effet que la perception de ce phénomène. Élaboré par Transparency International, il est pourtant loin d’être transparent. Sa méthodologie est discutable, et ses conclusions quelquefois trompeuses.
Sans nier l’existence de la corruption en Afrique, le problème principal en la matière réside dans le manque de cadres réglementaires et dans l’inefficacité notoire des administrations quand il s’agit de faciliter la vie des agents économiques, notamment celle des investisseurs. En réalité, c’est l’inefficacité des États qui ouvre une voie royale aux corrupteurs internationaux, leur permettant de gagner beaucoup d’argent et leur offrant le luxe de se placer en juges de l’incompétence générale.
Perception négative de la gouvernance des États par leurs populations
Plusieurs décennies après les indépendances, les pays africains, souvent riches en matières premières, demeurent incapables de négocier correctement les contrats, acceptent des prix d’achat dérisoires, des obligations de redevances douteuses, ne se préoccupent pas suffisamment de la faible valeur ajoutée de leurs économies et ferment les yeux sur les conséquences néfastes de leur dépendance vis-à-vis des recettes d’exportation de ces matières premières. Voilà dans les faits ce qui explique la perception négative de la gouvernance des États par leurs populations. Des éléments qui n’intéressent pas les juges autoproclamés de la transparence.
Comment changer cette situation ? Et, ce faisant, faire évoluer les regards critiques sur l’Afrique ? Il y a certainement plus d’une réponse à cette question, mais, en termes pratiques, la solution la plus efficace consiste tout simplement à faire payer des impôts.
L’imposition fiscale est un contrat social entre les citoyens et le gouvernement. Cela n’a pas toujours été le cas. Les taxes féodales, les droits aux razzias pendant les guerres ou les impôts de l’époque coloniale sont quelques exemples ayant peu à voir avec le principe d’une citoyenneté responsable. Mais, dans le cadre d’un État moderne, les taxes et impôts sont des charges ou des prélèvements imposés à un contribuable (un individu ou une autre entité juridique) par une organisation gouvernementale, afin de financer diverses dépenses publiques.
Modernisation des systèmes fiscaux
Pour que les entreprises prospèrent et que l’activité économique du pays se développe, il faut que les politiques fiscales soient prévisibles sur le long terme. Cela tient en grande partie aux compétences des administrations fiscales et à des répercussions sur la performance des dépenses publiques.
L’assiette fiscale permet également de mesurer le niveau d’informalité d’un pays. Le mantra des ONG – protéger le secteur informel – n’est pas compatible avec un État moderne. Cela ne fait que perpétuer la dépendance vis-à-vis de sources de revenus telles que l’aide, en baisse au niveau mondial, et condamner une partie de la population à la précarité.
La pression fiscale, la façon dont nous mesurons le montant des recettes fiscales générées par une économie, est très faible en Afrique. La moyenne est de 22 %, contre 35 % dans le monde. Certains pays ont des niveaux de pression fiscale si bas qu’ils n’atteignent même pas la moitié de la moyenne africaine. Le Nigeria, la plus grande économie du continent, est le moins performant dans ce domaine, avec une pression fiscale de seulement 5 % à 6 %.
Lutter contre l’informalité
Tout cela est assez préoccupant. D’autant que la sérieuse sous-estimation de la taille des PIB dans la majorité des pays africains, en raison de systèmes de comptes nationaux accusant des retards significatifs et utilisant des méthodologies dépassées, aboutit sans doute à surévaluer encore la pression fiscale réelle. Pour voir la situation enfin évoluer, il est indispensable d’investir dans l’amélioration et la modernisation des systèmes fiscaux et dans le renforcement des capacités des administrations responsables.
Il est nécessaire de formaliser les échanges économiques, en demandant à chaque citoyen et à chaque organisation d’avoir une identification fiscale combinée à des règles transparentes d’exemption pour les pauvres plutôt que pour les riches, telles que couramment pratiquées.
La taxation progressive n’est plus un art, mais une science. Avec les solutions numériques, il est devenu plus facile de mettre en œuvre des approches universelles. Il faut aussi lutter contre l’informalité en simplifiant les procédures pour créer et enregistrer des entreprises afin de faire baisser les taux d’imposition élevés.
La course aux exonérations, une politique inadaptée
Les administrations fiscales bien organisées pourront augmenter régulièrement les recettes fiscales, comme cela a été le cas au Sénégal, au Rwanda, en Éthiopie, au Togo, en Afrique du Sud ou au Lesotho, ce dernier étant le pays le plus performant du continent. Les meilleurs résultats semblent être associés à l’établissement de services des impôts indépendants. Néanmoins, selon le Forum sur l’administration fiscale africaine, la plupart des progrès en matière de recouvrement d’impôts en Afrique semblent, pour l’instant, être liés aux effets de l’inflation plutôt qu’à des gains significatifs d’efficacité.
Nombre de sociétés et d’investisseurs de grande taille ont conscience que la course aux exonérations n’est pas une politique adaptée pour les inciter à investir en Afrique. Les pays qui misent sur une stratégie de développement reposant sur un environnement des affaires prévisible et sur une gestion efficace constituent de bien meilleurs paris.
Bien sûr, les grandes entreprises, qui représentent la moitié de l’impôt perçu, doivent aussi améliorer leur comportement fiscal. C’est tout l’enjeu de l’initiative appelée l’Équipe B, qui fait la promotion d’une évolution de leur gouvernance. Il y a toutefois des limites à la façon dont on peut par ce seul biais atteindre les besoins de transformation structurelle des économies africaines. L’élargissement du réseau de contribuables reste fondamental.
Routes et écoles calamiteuses
Évidemment, la perception positive des impôts n’a de sens pour les citoyens ordinaires que si ces derniers reconnaissent l’importance des dépenses publiques et qu’ils en bénéficient. En effet, à travers le rapport qu’ils entretiennent avec les impôts, il est possible d’évaluer le sentiment des peuples vis-à-vis des bien communs et le degré de modernité d’un État.
Comment expliquer à une personne qui utilise des routes dans un état désastreux que payer la taxe routière en vaut la peine ? Ou aux parents d’écoles calamiteuses que régulariser leur situation fiscale est essentiel pour bâtir un avenir à leurs enfants ? Les Africains en général n’aiment pas payer d’impôts parce qu’ils ne voient pas les avantages qu’ils peuvent en tirer.
Le défi ne se limite pas à l’efficacité dans la collecte et l’administration de recettes. Il est plus vaste, plus complexe. Lorsque le développement rapide des pays est palpable, le respect des obligations fiscales augmente. Il faut donc espérer qu’en matière de transparence les perceptions seront plus proches de la réalité. Il revient sur ce thème, comme sur d’autres, aux pays africains d’accomplir leur devoir pour que le continent se transforme en profondeur.
Lire le blog ici