Le rôle des grandes données dans l’intégration régionale en Afrique

La réalisation par un jeune entrepreneur ougandais de son ambition de développer son entreprise de transformation du café sera bientôt à portée de main. Le processus d’intégration accélérée de l’Afrique de l’Est ouvre des possibilités naguère impensables. Notre jeune entrepreneur pourrait, dans quelques années, accéder à un marché ouest-africain de 350 millions de personnes, sans avoir ni à payer des droits de douane élevés ni à supporter des coûts de transport qui, actuellement, font qu’il est plus facile d’exporter vers l’Europe que vers d’autres parties du continent.

Les initiatives visant à accélérer le rythme de l’intégration régionale de l’Afrique prennent de l’ampleur. Elles consistent, entre autres projets, à établir une zone de libre-échange continentale d’ici à 2017, à mettre en œuvre un plan d’action pour stimuler le commerce intra-africain ainsi qu’à supprimer les obstacles au commerce en créant des zones de libre-échange et des unions douanières sous-régionales. Des mesures destinées à simplifier les procédures douanières, à favoriser la libre circulation des personnes et le développement d’infrastructures régionales sont également en train d’être mises en place. Le Traité d’Abuja de 1991, dont l’esprit a guidé la définition d’un objectif aussi ambitieux, est enfin pris au sérieux.

Servant de catalyseur de mise en œuvre tant du programme de développement pour l’après-2015 que du propre programme de l’Afrique, l’Agenda 2063, le commerce joue le rôle de plus en plus évident de vecteur du développement.

Commerce formel et commerce informel

Le commerce intra-africain formel représente, en moyenne, 14 % environ du commerce total de l’Afrique. C’est faible, comparé à d’autres régions. La part du commerce intrarégional dans les échanges est de 17 % en Amérique centrale et en Amérique du Sud, 42 % en Amérique du Nord, 62 % dans l’Union européenne et 64 % en Asie. Le mot « formel » revêt ici une importance cruciale, car les échanges économiques qui se déroulent le long des différentes frontières africaines sont, en grande partie, informels.

La bonne nouvelle, cependant, est que les produits manufacturés représentent environ 46 % du commerce intra-africain formel. Preuve, s’il en est, de l’énorme potentiel qui existe pour le développement des chaînes d’approvisionnement sur le continent.

Il est possible de modifier la base d’une économie africaine principalement fondée sur la monoculture en ajoutant de la valeur aux biens produits sur le continent. Des gains de productivité et une compétitivité stimulée permettront de créer suffisamment d’emplois pour les jeunes et la population en urbanisation rapide du continent.

Dans un effort, sans doute le plus audacieux à ce jour, pour recueillir des données sur les incidences de l’intégration régionale, la Commission économique pour l’Afrique, l’Union africaine et la Banque africaine de développement ont conjointement mis au point un Indice africain d’intégration régionale, qui peut servir aux gouvernements et au public en général de baromètre pour évaluer les résultats des pays et de leurs communautés économiques régionales.

Faisant la synthèse de données tirées de plus de 70 indicateurs, l’Indice permet de suivre les progrès et de situer les goulets d’étranglement à surmonter. Il éclaire les décisions politiques et aidera dans les futures négociations commerciales. En appui à la mise en œuvre de l’Indice, la CEA forme des entités nationales et sous-régionales en Afrique à la collecte et à la surveillance de données.

Des données de vol aux données tarifaires

Compte tenu de la nouveauté de certains des indicateurs utilisés, des efforts sont également déployés pour normaliser les bases de données. L’utilisation des techniques de « données massives » a permis de faire de l’Indice un outil d’innovations méthodologiques d’avant-garde. Par exemple, les informations relatives aux compagnies aériennes, qui sont collectées pour constituer des ensembles de données sur les schémas de vol entre différents aéroports, sont utilisées pour le calcul des totaux de vols intra-africains. De même, des données sur les tarifs douaniers sont utilisées pour calculer les droits de douane moyens pondérés intra-africains.

À la lumière des progrès réalisés dans le secteur des télécommunications, il est possible de sauter des étapes technologiques et d’exploiter des données massives tirées de contenus en ligne, de médias sociaux ou de satellites ou de la technologie de téléphonie mobile pour étayer des choix politiques. Grâce aux plus de 629 millions d’utilisateurs de téléphonie mobile, les données de téléphone offrent une mine de renseignements pour les décideurs. Ces données font déjà une différence dans de nombreux domaines, de l’aide humanitaire au suivi de la transmission des maladies et permettent d’indemniser en temps réel des agriculteurs ayant souffert de mauvaises récoltes dues aux conditions climatiques. Les systèmes africains d’opérations bancaires mobiles, non seulement, ont changé la façon dont les transactions financières sont effectuées sur le continent, mais ils deviennent aussi une référence pour le reste du monde.

Malgré ces succès, il faudrait de nouveaux investissements pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par les données massives. Des communautés d’utilisateurs de données sont actuellement constituées qui aideront à valider les entrées de données créées par des entités autres que les structures statistiques officielles. La possibilité d’actualiser l’Indice africain d’intégration régionale grâce aux données massives encouragera le type de surveillance et de responsabilité susceptible de galvaniser l’action publique.

L’existence de catalyseurs de données permettra aux entrepreneurs de déterminer sur quels marchés ils gagnent à s’engager. Elle sera aussi d’une importance vitale pour notre jeune Ougandais qui attend d’exporter son café, aussi bien que pour l’entreprise malienne qui prospère grâce à la production de coton ou pour l’usine de montage de véhicules BMW en Afrique du Sud. On ne peut prendre les bonnes décisions que quand on dispose des bonnes informations.
Cet article a été publié en ligne, en anglais, dans International Trade Forum Magazine en juillet 2015