Ces 15 dernières années, l’Afrique a connu une croissance d’un niveau relativement élevé, tirée par un super cycle des matières premières et par la demande intérieure vigoureuse d’une classe moyenne en expansion, mais elle dépend toujours de ces matières premières pour l’essentiel de ses recettes d’exportation. Il est désormais largement admis que, en l’absence d’économies diversifiées, l’Afrique restera exposée aux chocs exogènes et demeurera prisonnière du paradoxe de forts taux de croissance coexistant avec des niveaux élevés de chômage et de pauvreté. C’est pour cette raison que les quatre dernières éditions du Rapport économique sur l’Afrique ont traité des questions et défis fondamentaux auxquels se heurte la transformation, et ont tenté de mettre en lumière les priorités aux niveaux national, régional et continental, pour y apporter de la cohérence.
Je continue de préconiser une industrialisation accélérée, clé de la transformation structurelle des économies africaines. L’attention soutenue accordée à l’industrialisation en Afrique témoigne de notre engagement à faire en sorte que les travaux de recherche et les statistiques correspondent aux priorités des États africains sur le plan stratégique. Les nouvelles politiques industrielles élaborées par plusieurs États membres et par les communautés économiques régionales ont grandement bénéficié de la recherche, des statistiques et des débats sur ce thème crucial, auquel nous attachons beaucoup d’importance.
Les principaux facteurs qui entravent le commerce et l’industrialisation en Afrique sont liés à l’étroitesse de sa base de production et d’exportation, qui est dominée par des produits à faible valeur tels que les matières premières et les produits de base. Cette situation est aggravée par les coûts très élevés des échanges, les barrières tarifaires et non tarifaires imposées au commerce intra-africain et l’accès limité de l’Afrique aux marchés internationaux. Nous n’avons d’autres choix que d’accroître notre part d’exportations mondiales. Alors que dans les années 1970, l’Afrique représentait 4,99 % du commerce mondial et l’Asie de l’Est 2,25 %, en 2010, notre part a reculé à 3,33 % tandis que celle de l’Asie de l’Est a progressé pour atteindre 17,8 %. L’Afrique étant bridée par la faiblesse des infrastructures et l’inefficacité de la logistique, le manque de compétences adaptées et d’intrants de qualité, l’offre insuffisante de crédits et de services financiers, notre histoire est devenue celle d’une occasion manquée. Il est grand temps de nous réveiller. C’est la politique commerciale actuelle de l’Afrique qui nous empêche en grande partie de donner le meilleur de nous-mêmes.
L’édition 2015 du Rapport économique sur l’Afrique suggère que politiques commerciales et industrielles sont maintenant déconnectées l’une de l’autre. En conséquence, les pays africains affichent des niveaux de protectionnisme élevés sans bénéfices tangibles en termes d’amélioration de la productivité. Ce phénomène est exacerbé par la recherche de rente qui empêche l’exploitation des avantages comparatifs dynamiques. En effet, souvent, les structures tarifaires ne tiennent pas compte des considérations de politique industrielle, et sont l’aboutissement non ordonné de cycles successifs de réformes. Si l’on regarde de plus près les intrants importés, on s’aperçoit que les droits de douane pèsent sur la compétitivité des pays africains de la plus brutale des manières. Ils ne stimulent pas la réaction des fournisseurs en amont, pas plus qu’ils ne favorisent la compétitivité des industries en aval. Lorsqu’elles sont appliquées convenablement, les structures tarifaires constituent pourtant un instrument d’approche stratégique coordonnée et de cohérence entre le cadre des politiques commerciales et celui des politiques industrielles. J’aime qualifier cette démarche de « protectionnisme intelligent », j’entends par là, faire sorte que les règles nous servent. C’est quelque chose que chacun souhaite, mais que nous ne sommes pas parvenus à faire.
Poursuivre les réformes commerciales de manière stratégique permet de promouvoir et de renforcer la compétitivité d’un pays et de créer les conditions favorables à une participation accrue aux chaînes de valeur.
Dans le cadre des chaînes de valeur mondiales, un corpus croissant de travaux de recherche indique l’intérêt du secteur des services, à la fois en termes de contribution à la valeur ajoutée et de création d’emplois. Autrement dit, un secteur des services dynamique – pensez par exemple aux services financiers ou aux technologies de l’information et de la communication – peut avoir des retombées de natures très diverses qui augmentent la productivité et apportent de la valeur sur toute la chaîne. En Afrique, cependant, le commerce des services est encore entravé par un certain nombre de barrières (essentiellement réglementaires).
Dans ce contexte, il serait important que les négociations en vue de l’établissement d’une zone de libre-échange continentale s’étendent au commerce intra-africain de services. Cela permettrait non seulement de multiplier les possibilités d’émergence de chaînes de valeur régionales, mais garantirait aussi que les gains tirés de la zone de libre-échange continentale soient plus justement répartis entre pays africains, en particulier les économies qui mettent sur pied d’importants pôles de services.
En outre, pour tirer le meilleur parti du commerce, les pays africains doivent faire en sorte que l’échelonnement de leur libéralisation commerciale soit compatible avec leur programme de transformation et leur engagement en matière d’intégration régionale. En d’autres termes, l’échelonnement de la libéralisation commerciale devrait privilégier la réduction des droits de douane et la suppression des barrières non tarifaires à l’intérieur de l’Afrique. En effet, les exportations intra-africaines se voient souvent imposer des niveaux plus élevés de protection que les exportations africaines à destination du reste du monde, et la situation pourrait s’aggraver. Notre objectif devrait être d’avoir des droits de douane réduits entre les communautés économiques régionales, afin d’éviter que les droits de douane pratiqués sur les exportations européennes soient plus bas que ceux en vigueur entre pays africains, ce qui, en l’absence d’un accord ambitieux sur une zone de libre-échange continentale, pourrait être une des conséquences des accords de partenariat économique. D’autres obstacles, tels que les barrières non tarifaires, restent extrêmement répandus et ajoutent aux contraintes qui pèsent sur la compétitivité des producteurs africains, ces barrières étant particulièrement nombreuses entre communautés économiques régionales.
Les préférences commerciales unilatérales peuvent difficilement, à elles seules, créer les conditions nécessaires au développement des chaînes de valeur régionales. Rendons-nous à l’évidence: l’Afrique ne peut plus se permettre de négocier des accords commerciaux comme si l’industrialisation n’importait pas. Le message qui doit nous guider, tel l’étoile du berger est que le commerce peut effectivement favoriser l’industrialisation, mais que pour ce faire, il nous faut un cadre politique cohérent.