La gouvernance et la corruption sont des questions à controverse qui revêtent une grande importance pour le développement durable. La promotion de la transformation structurelle requiert plus qu’une politique et une stratégie nationales pour opérer efficacement dans un monde de plus en plus globalisé. La mondialisation continue de modifier les trajectoires de croissance des pays, avec de graves conséquences pour les pauvres, notamment en affectant leur accès aux moyens de production et aux marchés. Les pays africains se doivent de traduire les possibilités offertes par la mondialisation en croissance inclusive, en réduction accrue de la pauvreté et en développement durable. Toutefois, l’intégration dans les marchés mondiaux comporte certains risques, les pays devenant plus sensibles aux tendances mondiales, par exemple les pratiques de corruption des sociétés multinationales et d’autres parties intéressées extérieures.
Un certain nombre d’indicateurs a été mis au point pour évaluer les niveaux de corruption en Afrique. Certaines de ces mesures, notamment l’Indice de perception de la corruption, les Indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale, l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine et Afrobaromètre, font autorité car elles déterminent les politiques étrangères, les décisions d’investissement et l’allocation de l’aide, ainsi que l’analyse du risque pays sur le continent. Les pays africains sont « nommés et couverts d’opprobre ». Toutefois, compte tenu des lacunes des méthodologies de mesure, on ne saurait se limiter à un seul indicateur de la corruption. Il est impérieux de s’attaquer au problème de la corruption en Afrique dans sa totalité, sans occulter les aspects de rapatriement des avoirs et de blanchiment d’argent. En effet, il devrait être clair que ceux qui détournent les fonds et les deniers publics et les receleurs de ces ressources sont au même titre coupables d’alimenter la corruption sur le continent.
La tendance actuelle en matière de mesure de la corruption sur le continent est de privilégier la perception de l’ampleur du phénomène par des individus. S’il est important de tenir compte des expériences individuelles et diverses, le fait de se focaliser sur des individus uniquement, occulte une cause fondamentale de la corruption pour plusieurs personnes: l’exclusion délibérée, actuelle ou historique, de certains groupes sociaux de la participation effective à la société. Il est donc important de s’attaquer à ces aspects de rapports de force à l’origine de l’exclusion en procédant à l’autonomisation des membres les plus pauvres de la société, en l’occurrence les femmes, en tant que moyen de lutter contre la corruption et la faiblesse de la gouvernance économique. On s’accorde à reconnaître que la réalisation de ce processus connaît plus de réussite dans un contexte de démocratisation et d’engagement civique.
Assurer l’équité sociale comme un moyen de lutter contre la corruption, exige des réformes de la gouvernance qui autonomisent les groupes pauvres et marginalisés et les autorisent à demander des comptes, qui renforcent en somme l’obligation de rendre compte, ce qui pourrait accroître la motivation des prestataires de services à répondre aux besoins des pauvres. La fourniture de services responsable, à son tour, améliore les recettes publiques en élargissant la marge de manœuvre budgétaire de l’État, car elle encourage les citoyens à payer les impôts. Investir dans le capital social des plus vulnérables est également crucial. Un autre pilier de base de l’effort d’inclusion consiste à garantir la jouissance de droits de propriété et la protection de ces droits. Toutefois, la reconnaissance des droits de propriété est une question complexe car ces droits découlent de plusieurs sources (État, coutumes et les lois religieuses), et l’historique des droits d’accès est généralement fonction des contextes. Les stratégies des réformes juridiques et autres devraient tenir compte de ces complexités pour aider à prendre des dispositions en faveur des groupes marginalisés, à lutter contre la corruption et à élargir l’accès aux services essentiels.
Il est important pour l’Afrique de mettre l’accent sur l’importance de mesurer la corruption et de comprendre ses dimensions internationales. Il nous faut remettre en question la définition traditionnelle étroite de la corruption comme étant « l’abus d’une charge publique à des fins privées ». Cette définition met trop l’accent sur la fonction publique et sur la légalité apparente de l’acte, négligeant les tendances à la corruption qui prévalent dans les secteurs privé et non étatique. Les décideurs devraient comprendre l’importance et les implications de la perception de la corruption comme un phénomène plus vaste dans lequel les acteurs privés ont une grande part de responsabilité, et nombre d’actes contraires à l’éthique, qui peuvent être assimilés à la corruption, ne sont pas nécessairement illicites ou ne se sont pas produits dans le secteur public. Par exemple, de nombreuses entreprises privées nationales et étrangères puissantes exercent une influence indue de façon à amener l’État à prendre des politiques, des lois et des règlements à leur avantage. Parfois, ces entités privées, lors des campagnes électorales, apportent des contributions financières qui peuvent paraître légales, mais sapent indûment les fondements de la démocratie. En outre, le favoritisme dont font l’objet des entreprises particulières dans l’attribution des appels d’offres et des marchés publics est une chose courante en Afrique. De même, de nombreuses pratiques de corruption ayant cours sur le continent sont le fait d’acteurs non africains qui les entretiennent également.
On peut faire valoir que le plus grand défi qui se pose au programme de transformation structurelle de l’Afrique n’est pas la corruption telle qu’elle se manifeste dans les scandales des secteurs privé et public, les questions de fraude et de pots de vin pouvant être efficacement réglées grâce à une meilleure supervision et une application plus stricte des règles de gouvernance. En général, les problèmes fondamentaux de la gouvernance économique se situent à un niveau totalement différent – l’incapacité des instances dirigeantes à la fois dans les secteurs public et privé à agir efficacement et à améliorer l’exécution des programmes et à optimiser les résultats. En outre, les cadres réglementaires efficaces devraient établir un équilibre entre la promotion du développement du secteur privé et l’amélioration de la transformation sociale axée sur une meilleure prestation de services. À cet égard, une approche plus étoffée du programme de transformation structurelle devrait être adoptée en mettant l’accent sur des actions qui permettent non seulement de lutter contre la corruption, mais également d’améliorer la gouvernance économique au sens plus large.
Dans ce contexte, la quatrième édition du Rapport sur la gouvernance en Afrique, publié par la CEA, exhorte toutes les parties prenantes à repenser les mesures de corruption en général, et dans le contexte africain en particulier. Comme le montre le rapport, cet effort est plus qu’impérieux. Par exemple, les approches actuelles de mesure de la corruption occultent complètement la dimension internationale du phénomène en Afrique. De nombreuses données montrent que les opérations des acteurs étrangers sur le continent sont à l’origine d’importants flux financiers illicites. Ces omissions constituent de graves lacunes dans les mesures actuelles.
À mon sens, les pays africains et les partenaires devraient se départir des mesures de la corruption uniquement fondées sur la perception du phénomène et mettre l’accent sur d’autres approches, qui sont factuelles et reposent sur des critères quantitatifs plus objectifs et tiennent compte des dimensions internationales de la corruption. Le présent rapport plaide en faveur de ce changement. Dans l’intervalle, alors que les critères quantitatifs possibles continuent d’être explorées, il est nécessaire de veiller à ce que les méthodes fondées sur la perception reposent plus sur des enquêtes plus transparentes et plus représentatives. Ces mesures devraient également être complétées, au besoin, par des indicateurs quantitatifs de pays ou provenant d’études de cas précis de façon à produire des évaluations plus sophistiquées et utiles. Au lieu de « nommer et de couvrir d’opprobre » les coupables sur la base d’un certain niveau de perception, il est nécessaire de mener une réflexion approfondie sur les problèmes de mesure de la corruption en Afrique, en accordant une attention particulière au rôle des acteurs internationaux. Il est également crucial que les décideurs africains et les partenaires se penchent sérieusement sur les grandes questions de gouvernance économique essentielles à la transformation structurelle du continent et au développement durable afin de s’attaquer efficacement au problème de la corruption.
*Préface du nouveau Rapport de la Commission économique pour l’Afrique consacré à la corruption
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